Articulation du droit à la dénonciation des faits de harcèlement moral et de la répression de la diffamation

La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 28 septembre 2016, se prononce sur l’articulation entre la protection conférée par le code du travail aux salariés dénonçant des faits et harcèlement moral et la répression de la diffamation, prévue par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

L’article L. 1125-2 du code code du travail instaure une protection spécifique au bénéfice des salariés dénonçant des faits de harcèlement moral en prévoyant que : « aucun salarié […] ne peut être sanctionné, licencié, ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refuser de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés« .

Il résulte de ce texte que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral bénéficie en principe d’une immunité s’opposant à toute sanction, y compris dans l’hypothèse où les faits rapportés ne seraient pas établis (Cass. Soc., 10/03/2009, n° 07-44092). Seule la démonstration de la mauvaise foi du salarié pouvant faire échec à cette immunité (Cass. Soc., 06/06/2012, n° 10-28345).

Outre ces dispositions spécifiques, l’article L. 4131-1, alinéa 1 du code du travail confère aux travailleurs un droit plus général d’alerte en disposant que : « le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé […]« .

L’article 122-4 du code pénal prévoit, enfin, l’irresponsabilité pénale des personnes qui accomplissent un « acte autorisé par des dispositions législatives ou réglementaire« .

La Cour de cassation a statué, dans un arrêt du 28/09/2016 (Cass. Civ. 1ère, 28/09/2016, n° 15-21823), sur l’articulation de cette autorisation de dénonciation des faits de harcèlement moral avec la répression de la diffamation, prévue par les articles 29 et suivants de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

En effet, aux termes de l’article 29 de ce texte : « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne  ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation« .

Dans le cas d’espèce faisant l’objet de la décision présentée, une salariée avait dénoncé, auprès du directeur des ressources humaines et du CHSCT de la société qui l’emploie, le harcèlement moral qu’elle prétendait subir du fait de deux de ses supérieurs hiérarchiques.

Ces derniers, considérant que ces dénonciations étaient de nature à porter atteinte à leur honneur au sens de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, ont assigné la salarié aux fins d’obtenir la réparation du préjudice subi du fait de ces allégations.

La Cour d’appel avait considéré que les dispositions protectrices du code du travail et du code pénal ne sauraient avoir pour effet d’instaurer une immunité pénale au bénéfice de celui qui rapporte des faits de harcèlement moral.

La Cour de cassation, après avoir rappelé les strictes conditions dans lesquelles sont encadrées l’offre de preuve et l’exception de bonne foi en matière de diffamation,  casse et annule cet arrêt en retenant que la dénonciation de faits de harcèlement moral auprès de l’employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail « ne peut être poursuivie pour diffamation« .

La Cour précise, au soutien de sa décision, que les exigences probatoires spécifiques prévues par la loi du 29 juillet 1881 sont de nature à faire obstacle à l’effectivité du droit reconnu au salarié de dénoncer les faits de harcèlement moral qu’il subi, ou dont il a été le témoin.

En revanche, s’il est démontré que le salarié avait connaissance de la fausseté des faits allégués, et que sa mauvaise foi est ainsi caractérisée, la qualification de dénonciation calomnieuse, infraction prévue et réprimée par les articles 226-10 et suivants du code pénal, peut être retenue.

Cette qualification pénale permet d’inverser la charge de la preuve, et de donner ainsi son plein effet aux dispositions des articles L. 1152-2 et L. 4131-1 du code du travail. En effet, dans le cadre de la procédure prévue par les articles 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881, il appartient à l’auteur des allégations diffamatoires d’apporter la preuve de la vérité de ses propos. A l’inverse, si seule la qualification de dénonciation calomnieuse peut être retenue, il appartiendra à la partie poursuivante de démontrer que le salarié à l’origine de la dénonciation avait connaissance de la fausseté des faits qu’il a rapportés.

Cette décision, qui tout en protégeant les salariés des conséquences de la procédure spécifique de la loi du 29 juillet 1881, ne leur accorde pas une immunité pénale générale, semble de nature à assurer leur protection, tout en permettant la répression des dénonciations effectuées avec mauvaise foi, ou dans l’intention de nuire aux personnes qui en sont l’objet.

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